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Interview de Daniel KELLER - Le Figaro - 14/01/2020

Revue de presse

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14/01/2020

«L’administration fait les frais de la crise du politique»

INTERVIEW - Pour Daniel Keller, président de l’association des anciens élèves de l’ENA, l’école ne mérite pas la «décapitation» à laquelle elle est aujourd’hui condamnée.

Par Caroline Beyer

LE FIGARO. - Le rapport Thiriez tarde à arriver. Pour quelles raisons, selon vous?

Daniel KELLER. - Il est confronté à la quadrature du cercle. On ne peut faire table rase de l’existant et construire, en quatre mois seulement, un système totalement nouveau. À ce jour, nous avons une dizaine d’écoles des services publics qui répondent à des besoins spécifiques, en formant aux différentes administrations. On voudrait les fédérer sous un même toit. La création d’une grande école pour hauts fonctionnaires - avec un croisement des stages de terrain, des enseignements communs sur le service de l’État… - est une bonne idée. Mais cela prendra plus de six mois à mettre en place! II faut aussi faire confiance aux acteurs. Tout n’est pas à jeter dans l’existant. Depuis 2017, le directeur de l’ENA a engagé une importante transformation de l’école. Rayer l’ENA d’un trait de plume ne réglera rien aux problèmes de fond.

Que craignez-vous avec cette réforme ?

Ce qui m’inquiète, c’est qu’elle intervient dans un contexte de banalisation du service de l’État, avec de plus en plus de passages du public vers le privé et le recrutement accru de contractuels. Cette tendance assoit l’idée que servir l’État, c’est servir une organisation comme les autres. Ce n’est pas le cas ! L’État est le garant de la cohésion sociale et de l’intérêt général. De réforme en réforme, il est régulièrement affaibli, d’autant plus qu’il est pris dans la tourmente européiste et mondialiste. Et l’on croit de moins en moins en lui. On arrive ainsi à des décisions à l’emporte-pièce, comme la suppression de l’ENA. En quoi cette école mérite-t-elle une telle décapitation? En réalité, l’administration fait les frais de la crise du politique.

On reproche notamment à l’ENA de ne pas être suffisamment ouverte socialement…

Il ne faut pas se focaliser sur de faux sujets. Aujourd’hui, l’ENA recrute 40 élèves par an via son concours extérieur, alors qu’il en faudrait une centaine. Face à cette insuffisance, les chambres régionales des comptes ou les sous-préfectures ont créé des concours spécifiques. Ce qui est aux antipodes de l’ENA, conçue précisément comme le creuset de l’interministériel. Au fil des années, on n’a cessé de démembrer l’ENA. Augmenter les promotions permettrait d’arriver à davantage de diversité sociale. L’école a déjà agi pour s’ouvrir sociologiquement, en créant notamment deux classes préparatoires intégrées. Parmi les élèves passés par cette voie, 90 à 95 % réussissent un concours de catégorie A ou A +. Il faudrait créer 20 à 30 classes préparatoires comme cela en France, en les adossant à des universités ou des instituts d’études politiques. Mais encore faut-il reconnaître le bien-fondé de cette action et l’amplifier.

Faut-il supprimer le classement de sortie, accusé de déterminer l’ensemble d’une carrière ?

Tout élève qui entre à l’ENA a envie de terminer premier. C’est un élément attractif. Mais ce classement ne doit pas être une rente de situation. En réalité, c’est la culture de «noblesse d’État», au sens bourdieusien du terme, qu’il faut réformer. Il faut organiser les parcours professionnels en fonction des compétences et appétences, et pas seulement en fonction du rang obtenu à la sortie. Ce n’est pas le classement qui est problématique, mais l’utilisation qui en est faite.

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