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Portrait de Virginie Beaumeunier, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Portraits

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10/09/2020

Entretien avec Virginie BEAUMEUNIER
(Promotion « Léon Gambetta » 1991-1993)
Réalisé par Marie-Christine Armaignac, en septembre 2020,
pour la Commission Egalité Femmes-Hommes AAEENA


Photographe Patrick Bagein

Des mentors avisés, une vision familiale partagée de l’égalité femmes-hommes sont précieux. Mais le volontarisme reste nécessaire pour faire progresser la mise en œuvre de l’égalité, et les femmes dirigeantes ont, à cet égard, une responsabilité particulière.

Virginie Beaumeunier débute en 1993 à la DGCCRF, où elle a déroulé une bonne partie  de sa carrière, en alternance avec un passage en cabinet ministériel (2002), puis au secrétariat général de Bercy, à la Cour des comptes, à l’Autorité de la concurrence, dont elle était rapporteure générale (2009-2017) et enfin à la Dgfip. Elle est directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes depuis le 3 janvier 2018.


Avez-vous conçu très jeune, par exemple dès la scolarité à l’ENA, votre trajectoire professionnelle, et comment s’est-elle plus nettement dessinée ? Avez-vous bénéficié de conseils ? Et sinon, quels conseils auriez-vous aimé qu’on vous apporte ?
Je ne saurais dire que j’ai pensé très jeune à l’ENA. En revanche, très tôt, j’adorais me mêler à la conversation politique des adultes et « faire Sciences Po » est devenu à la fin du lycée mon objectif. C’était déjà pour moi le signe de la réussite en venant de mon lycée de province sans renommée particulière, mais dont j’ai gardé de bons souvenirs. L’ENA n’était pas au départ une option réaliste pour moi.

Lors de la scolarité à l’ENA, je n’avais pas du tout de plan de carrière, tout juste pensais-je avoir une appétence pour le « social » (peut-être un « déterminisme » féminin !).  J’ai toutefois plutôt suivi les conseils d’un maitre de conférences de l’ENA qui recommandait de choisir un ministère régalien. J’aimais le droit et l’économie ; en européenne convaincue, le ministère de l’économie et des finances m’a paru le bon choix et j’ai intégré avec beaucoup d’enthousiasme la DGCCRF qui me permettait de concilier ces trois dominantes et de m’occuper de sujets ayant un impact direct sur la vie de nos concitoyens. 

Jusqu’à la sortie de l’ENA, je n’avais pas eu le sentiment d’être défavorisée par le fait d’être une femme, mais plutôt par le fait de ne pas connaître tous les codes en n’étant ni parisienne ni issue de la haute fonction publique. J’ai toutefois reçu une part de chance avec de petits coups de pouce aux moments opportuns.  

C’est à cause de ces petits coups de pouce que je crois principalement au parrainage et même encore plus au « marrainage ». Ce marrainage doit permettre notamment aux jeunes femmes de disposer des bonnes informations, et de s’identifier non seulement à des parcours professionnels mais aussi à des parcours de vie, en particulier en termes de conciliation vie professionnelle-vie privée. 

Je voudrais toutefois insister sur un point, la question de la conciliation vie professionnelle-vie privée ne doit pas être un sujet propre aux femmes, sinon rien ne changera ! Pour ma part, je ne me suis jamais posé la question dans ces termes : je m’investissais profondément dans mon travail, comme mon conjoint : celui qui allait au rendez-vous chez le pédiatre, c’était celui qui pouvait le plus facilement se libérer ce jour-là !


A partir de votre direction d’origine, vous avez alterné des phases en cabinet ministériel et au sein d’une autorité indépendante : qu’est-ce que cette expérience vous apporte dans le pilotage de l’administration et de sa transformation ?
Mon parcours professionnel comprend deux dominantes : la régulation de la concurrence et la protection des consommateurs et la conduite de projet de modernisation de l’administration, soit directement es qualité à travers des fonctions de directeur de projet au Secrétariat général du ministère de l’économie et des finances ou à la DGCCRF, soit indirectement dans mes fonctions managériales, lors de la création de l’Autorité de la concurrence, ou aujourd’hui à la DGCCRF engagée dans un plan important de transformation.

Dans la construction de mon parcours, je ne peux pas faire abstraction de mon passage en cabinet ministériel qui m’a notamment appris, bien sûr, à travailler vite, à proposer des solutions plus que des problèmes et surtout à distinguer l’essentiel de l’accessoire. Par ailleurs, la fonction de numéro 2 d’une autorité administrative indépendante dans laquelle je disposais d’un pouvoir de décision propre me paraît également marquante, car l’absence d’autorité hiérarchique vous oblige à faire preuve d’un grand sens des responsabilités, tout en vous imposant d’être capable de décider. 

Or, le pilotage et la transformation d’une administration supposent de mesurer les risques, d’accepter d’en prendre de façon raisonnée et d’assumer des choix, tout en étant capable de les faire évoluer. 

Je n’ai pas ressenti le besoin d’une expérience en entreprise, sans doute parce que mes proches étant issus du monde de l’entreprise ou y travaillant, j’avais au moins le sentiment de connaître le secteur privé ou a minima la contrainte que l’administration lui fait parfois peser !  Par ailleurs, mon engagement pour le service public est un choix totalement conscient et non par défaut.


Sur l’égalité femmes-hommes dans la haute fonction publique, pensez-vous que l’atteinte de la parité doive se faire par une nouvelle loi, une sorte de « Sauvadet 2 » ? Quelles sont les mesures les plus efficaces, selon vous ? Quelles mesures avez-vous souhaité plus particulièrement mettre en œuvre ?
L’inégalité hommes-femmes dans la haute fonction publique est encore souvent concrètement visible, en particulier dans les administrations dites « régaliennes » : il m’arrive encore parfois d’être la seule femme dans des réunions interministérielles de directeurs, ce qui n’est toutefois plus du tout le cas à Bercy, bien au contraire.

S’agissant des instruments pour favoriser l’égalité, je n’étais pas favorable dans un premier temps aux quotas. Comme beaucoup de femmes, j’ai tendance à penser que seuls le talent et l’engagement seront facteurs de promotion. La réalité n’est cependant pas celle-là, que ce soit dans la haute fonction publique, comme en politique ou dans les conseils d’administration des entreprises, notamment parce que les femmes n’accordent sans doute pas suffisamment d’importance aux réseaux. Une politique de quotas, de préférence temporaire, peut changer les perspectives et faire en sorte qu’à compétence égale, pendant quelque temps, on choisisse de préférence une femme. Une politique de quota ne peut cependant fonctionner, être supportable, que si en parallèle sont constitués des viviers car dans le cas contraire pèseront toujours des soupçons sur les raisons pour lesquelles une femme aura obtenu un poste.

Cela suppose aussi que les femmes dirigeantes acceptent de ne plus bénéficier de leur statut d’exception, qu’elles peuvent parfois considérer comme valorisant, et qu’elles renoncent à ne s’entourer que d’hommes.

S’agissant de ma propre pratique, j’essaie de ne pas être obsédée par le genre lors du choix d’un collaborateur et ne choisirais jamais une femme pour cette seule raison. Toutefois, à compétence égale, je veillerai toujours à la parité, et l’applique ainsi dans mon conseil de direction. Le plus important est d’encourager les femmes à candidater sur des postes à responsabilité et de s’assurer qu’elles ne s’autocensurent pas, ce qui est encore trop souvent le cas.


Comment conciliez-vous une implication très forte dans le travail avec l’équilibre de la vie personnelle ?
J’ai la chance d’avoir un conjoint qui s’est toujours investi dans les tâches familiales et, au cours de notre vie professionnelle, nous avons à peu près réussi à alterner les périodes d’investissement professionnel particulièrement lourd. Par ailleurs, je crois pouvoir dire que mes filles ont généralement compris que mon travail était essentiel dans mon épanouissement personnel et lorsque, malgré tout, elles souffraient un peu de mon manque de disponibilité, j’essayais de leur expliquer ce que je faisais et de les intéresser à mon activité, ce qui a plutôt bien fonctionné.

Aujourd’hui, alors que ma charge de travail est plus lourde, mes filles sont autonomes. Des enfants élevés, l’apport de l’expérience et de la maturité, les femmes ne doivent pas négliger cette période de leur vie pour viser des postes à fortes responsabilités.


Vous avez, dans le contexte actuel, des responsabilités de gestion de crise. Avez-vous le sentiment que vous y étiez préparée ? Quelles leçons en retirez-vous pour l’exercice de votre métier ?
J’avais eu dans le passé à participer à la gestion de crises, mais aucune de l’ampleur de celle que nous connaissons avec la COVID 19. C’est peut-être un lieu commun de dire cela, mais ce qui fonctionne à mon avis est la capacité à travailler en collectif, de manière fluide, sans formalisme hiérarchique lourd, en cellule de crise, au sein de laquelle chacun sait exactement ce qu’il a à faire. La crise a montré qu’avec de la bonne volonté on pouvait, sous la pression, casser les habitudes de fonctionnement en silo pour échanger de l’information, travailler en commun. Il faut toutefois faire attention à ne pas créer trop de structures ad hoc qui vont engendrer des frottements et amoindrir l’efficacité. C’est souvent une tentation bien française.

Il reste une dimension de gestion de crise à laquelle on est souvent insuffisamment préparé, c’est la dimension communication. Le manque de transparence n’est plus acceptable par nos concitoyens, même si on peut parfois craindre qu’une information complète n’aggrave la crise. L’Etat est en général au rendez-vous pour apporter une réponse opérationnelle à la crise, notamment parce que les agents publics ont pour leur très grande majorité conscience de leur responsabilité dans ces périodes de tension. En revanche, il arrive souvent que la crise s’emballe parce que nous ne parvenons pas à convaincre de l’engagement total des pouvoirs publics. C’est une tâche de longue haleine de recréer de la confiance dans l’action publique, mais à laquelle il ne faut jamais renoncer.


Entretien réalisé  en septembre 2020

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