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Interview de Daniel Keller dans Acteurs Publics, le 19/04/2019

Revue de presse

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20/04/2019

Daniel Keller : Le maintien de l’accès direct aux grands corps à la sortie de l’ENA “peut se discuter


Le président de l’Association des anciens élèves de l’École nationale d’administration (ENA) réagit au projet de suppression de cette école, qu’aurait acté le Président Macron. “La France, d’un point de vue quasi anthropologique, est fâchée avec ses élites”, estime-t-il tout en se montrant favorable à des évolutions.


Que vous inspire le projet de suppression de l’ENA qu’aurait acté le Président Macron ?

Il est temps que la France se ressaisisse. On est dans un moment de charivari.

Le week-end dernier, le directeur de l’ENA, Patrick Gérard, était l’invité des 70 ans de l’ENA en Tunisie, célébrés en grande pompe par le gouvernement de ce pays. Comment expliquez-vous les différences de perception de l’élite administrative entre la France et les autres pays ?

La France, d’un point de vue quasi anthropologique, est fâchée avec ses élites. Elle a toujours le sentiment que derrière les élites, se cache une noblesse d’État, pour parler comme Pierre Bourdieu. Tout cela renvoie à notre histoire, à la fabrication des élites. J’ajouterai que les élites en France payent aussi le prix du fait que l’on ne croit plus à l’État, alors que c’est l’État qui a fait la France.

Avant cette piste radicale de suppression, plusieurs tentatives de réformes de l’ENA ont vu le jour, comme la suppression du classement de sortie portée par Nicolas Sarkozy et abandonnée du fait de résistances. L’élite administrative ne paye-t-elle pas aussi le prix d’un certain conservatisme face à des tentatives de réforme passées plus modérées ?

Notre pays a besoin d’une école qui forme les hauts fonctionnaires. Devenir administrateur civil au service de l’État, ce n’est pas le même métier que de devenir un administrateur au service la fonction publique territoriale ou un directeur d’hôpital.

L’ENA forme déjà, dans une même promotion, à des métiers très variés (des diplomates, de magistrats de tribunaux administratifs, des administrateurs) sans que l’on se pose la question de la cohérence…

L’ENA a vocation à former majoritairement des administrateurs civils. Mais tout ceci mériterait d’être amélioré et amendé, de la même manière qu’on pourrait réfléchir sur le classement de sortie. Que les réformes que vous évoquez n’aient pas été menées à leur terme par certains politiques, c’est leur problème.

Votre association s’était pourtant opposée à des réformes plus modérées, comme la suppression du classement de sortie...

Je ne suis pas aussi convaincu que vous. L’association des anciens élèves de l’ENA n’est absolument pas opposée à toute évolution et transformation de l’école. D’ailleurs, il y a un projet de réforme en cours avec l’actuel directeur, Patrick Gérard. Ce n’est pas en faisant de l’ENA un bouc émissaire qu’on arrivera à réformer de manière sereine. L’objectif, pour les pouvoirs publics, c’est de repenser la formation des hauts fonctionnaires et d’élargir leur base de recrutement.

En 1945, le projet de création de l’ENA, porté par Michel Debré, visait à rompre avec un recrutement marqué par la cooptation et à permettre davantage de mobilité, notamment via l’institution du corps des administrateurs civils. Soixante-dix ans après, une nouvelle école englobant les versants de la territoriale, de l’hospitalière et de l’État ne constituerait-elle pas un acte II de ce même projet ?

Pourquoi pas ? Je pense qu’effectivement, favoriser le dialogue et la fluidité entre les 3 fonctions publiques est une idée qui mérite d’être creusée.

Au-delà de la communication sur la suppression, seriez-vous opposé à une fusion de l’ENA, de l’Institut national des études territoriales (Inet) et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) ?

Absolument pas. Au contraire, il faut réfléchir à cela. L’ENA forme 80 personnes chaque année et il y a environ 800 candidats. C’est aujourd’hui une assiette trop étroite. Fusion, je ne sais pas ce que cela veut dire. Il y a des éléments communs et en même temps, des spécificités. Mais que l’on crée des interconnections entre les 3 versants irait dans le sens de la réforme en cours au Parlement.

Le rôle de Sciences Po Paris, qui assure encore la formation LMD d’une grosse partie des énarques, doit-il être intégré dans cette discussion ?

Sciences Po Paris est une université qui, à travers son École des affaires publiques, forme des personnes pourvues de compétences leur permettant de travailler dans la haute administration. Dans la mesure où le projet de loi transformant la fonction publique veut ouvrir certains postes à des contractuels, on peut très bien imaginer que demain, nous aurons, parmi les cadres dirigeants de l’État, des hauts fonctionnaires issus de l’ENA et en même temps des personnes venues du privé diplômées de Sciences Po. L’ENA a vocation à recentrer ses enseignements sur l’apprentissage des compétences managériales, comportementales et autres, et non plus à être une simple école de la connaissance comme elle a pu l’être dans le passé. 

Faut-il faire un tri des corps de sortie de l’ENA ?

L’ENA forme par vocation des administrateurs civils. Elle est aussi une école qui permet d’intégrer les juridictions administratives et financières ou des corps d’inspection. Il y a plusieurs métiers. Mais quel que soit le classement de sortie, ce classement ne doit pas décider de toute une carrière. L’idée d’avoir, après un premier tiers de carrière (huit à dix ans), un moment pour vérifier les aptitudes et les besoins de formation de l'agent (du type “école de guerre”), me paraît totalement sensée. Les juridictions administratives ou financières auront toujours besoin de “juniors” car ce sont eux qui constituent un peu les fondements de l’expertise et de la compétence métier de ces juridictions.

L’accès direct aux grands corps à la sortie de l’ENA doit-il être maintenu ?

Cela peut se discuter.

Au cours du grand débat, vous n’avez pas pris position sur les réformes à mener, alors que la haute fonction publique était un thème présent dans les discussions parmi d’autres. Pourquoi ?

Les Français n’ont rien à faire de ce qui sera décidé quant à l’avenir de l’ENA. Ils veulent plus de justice fiscale et plus de pouvoir d’achat. Le Journal du dimanche l’a encore bien rappelé dans sa dernière édition, au travers d’un sondage : la question de la suppression de l’ENA n’intéresse pas les Français. On découvre désormais, dans des annonces que l’on prête au président de la République, des pistes de transformation sur le besoin de créer une culture commune. Toute cela peut être mis sur la table, encore faut-il qu’il y ait un agenda totalement transparent, sur lequel chacun puisse travailler. L’Association des anciens élèves de l’ENA n’est opposée à aucune piste de transformation ou d’évolution. L’association est porteuse de l’idée que le concours comme mode d’accès à la haute administration est le système le plus méritocratique qui soit. 

N’est-ce pas l’institution de l’ENA qui est menacée, plus que le concours d’entrée lui-même ?

Effectivement, je n’ai pas le sentiment que le concours soit menacé. Personne n’est choqué à l’idée que l’ENA doive évoluer.

Alors, n’y a-t-il pas de fausses inquiétudes, au-delà des effets de manche de la communication politique ?

J’évite de m’inquiéter faussement… Je dis simplement qu’on a besoin de cadres dirigeants décloisonnés qui constitueront un vivier dans lequel on doit pouvoir trouver les meilleurs grands serviteurs de l’État de demain. Toutes ces discussions participent du dialogue et de la réflexion. Mais il faut éviter d’aborder le sujet par des mesure symboliques qui ne régleront pas le problème, mais qui contribueront à l’aggraver en disant qu’il faut supprimer l’école.

Ces fuites autour d’un discours non prononcé trahissent-elles, selon vous, une lutte de pouvoir autour de décisions non consensuelles ou s’agit-il d’un simple couac de communication ?

Je ne suis pas dans le secret des dieux. J’ai plus le sentiment d’une impréparation que d’une lutte de pouvoir. Je note que dans les grandes entreprises, on s’y prend autrement pour traiter les cadres dirigeants. On les choie, on met en place des systèmes de détection des hauts potentiels. On cherche à leur donner les meilleures compétences possibles. Aujourd’hui, il y a un grand absent dans tous les discours entendus : il n’y a, à aucun moment, de message d’empathie à l’adresse des hauts fonctionnaires. Ceux-ci mériteraient un peu plus de considération. Je le dis alors que je ne suis plus moi-même dans la fonction publique, mais dans une entreprise. Quand on veut porter des transformations profondes, il faut toujours se grandir, c’est-à-dire incarner une vision, et embarquer avec soi toutes celles et ceux qui sont chargés de la mettre en œuvre.

Le Président ne le fait-il pas ?

Le Président va le faire… Je ne doute pas que ce sera le sens des propos qu’il nous tiendra dans les jours qui viennent... Je ne sais pas si c’est l’effet du hasard, mais inspirons-nous du drame national de l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame.

Faites-vous une analogie entre la situation de l’ENA et celle de la cathédrale ?

Non. Je ne dirais pas que la France est à feu et à sang, mais la France est quand même aujourd’hui comme un boxeur sonné. Pour rependre les propos du Président, soyons les bâtisseurs de la France de demain.”

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