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Entretien avec Jean-Christian Cady

Portraits

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07/10/2017

Riche, c'est sûrement l'adjectif qui convient le mieux à la carrière qu'a menée Jean-Christian Cady. Du corps préfectoral aux missions de l'ONU, en passant par l'ambassade de France à Téhéran, Jean-Christian Cady aura servi l'État sous des formes tant distinctes qu'exceptionnelles. Rencontrez ce haut fonctionnaire aux casquettes innombrables !

Comment êtes-vous arrivé à l’ENA ?

Rien ne me prédestinait à faire l'ENA . Ma mère était institutrice, mon père fonctionnaire municipal. A Angers où j'ai passé mon enfance et mon adolescence, personne dans ma famille ne connaissait l'existence de l'ENA, pas plus que celle de Sciences Po.  L'histoire des idées politiques m'intéressait et c'est en l'étudiant que j'ai décidé de choisir l'IEP de Paris. Entre mon bac et le début de mes études supérieures, je suis parti une année aux Etats-Unis, dans une famille américaine, comme boursier de l'American Field Service. Ce séjour a eu sur moi une influence profonde car non seulement il m'a permis de parler couramment anglais ce qui a été très utile pour la suite de ma carrière, mais surtout il m'a fait connaître une autre civilisation et une autre conception de la démocratie et de la vie publique. Cette ouverture sur un nouveau monde et un autre mode de pensée m'a permis d'éviter, j'espère, d'être « gallo-centrique » .

Pourquoi l'ENA ? Comment était votre scolarité à l'ENA ?

L'ENA est un peu le prolongement de Sciences Po. C'est avec l'idée d'entrer dans le corps préfectoral que j'ai voulu faire l'ENA. Pour le jeune provincial que j'étais, le préfet était l'incarnation de l'administration. Cette idée a été renforcée par mon stage en préfecture à Bordeaux. Il a débuté en mai 1968. Dans cette période, qui est la plus grande secousse que la Ve République ait connue, il y a eu plusieurs jours où de grands pans de l'administration vacillaient. Certains ministères ne répondaient plus au téléphone. Le roc, qui tenait bon dans la tempête, c'était la préfecture. Cela a confirmé ma volonté de choisir le corps préfectoral à la sortie de l'ENA.

Conseilleriez-vous le corps préfectoral aux jeunes énarques ?
 

Le métier a beaucoup évolué depuis 1970. La décentralisation a donné de nombreux pouvoirs aux départements et aux régions et c'est une bonne chose. J'en ai d'ailleurs fait l'expérience puisqu'à la demande du ministère de l'intérieur, j'ai été pendant six ans directeur général des services du département de la Seine-Maritime, accomplissant, sous l'autorité du président du conseil général, les tâches que, quelques années plus tôt, le secrétaire général  de la préfecture faisait sous l'autorité du préfet.  Expérience passionnante que celle de monter une nouvelle administration après la décentralisation. Expérience tout aussi passionnante que de connaître des circuits de décision courts au sein d'une collectivité locale. Donc le métier préfectoral n'est plus le même mais il reste intéressant car, dans notre société souvent clivée, où des groupes ou des intérêts s'affrontent, le besoin d'Etat reste fort et le préfet est souvent  l'arbitre vers lequel les parties en conflit se tournent. C'est l'homme des négociations, des tables-rondes. Ce n'est pas seulement l'homme en charge de l'ordre public et de la sécurité des populations.

Après 1999, vous quittez le corps préfectoral pour l’international …

J'avais déjà fait une mobilité dans le corps de l'expansion économique à l'étranger, comme attaché commercial à l'ambassade de France à Téhéran entre 1975 et 1977. Le Shah était toujours au pouvoir. C'était la période où les pays occidentaux, dont la France, profitaient du triplement des prix du pétrole et donc des ressources de l'Iran, et exportaient à tout-va. Des contrats superbes ont été signés, dont la quasi totalité est tombée à l'eau après la Révolution islamique, quelques mois plus tard. Révolution que personne n'avait vu venir.

Beaucoup plus tard en 1999, l'ONU s'est trouvée confrontée à un défi unique dans son histoire : créer et administrer un territoire allant devenir indépendant : c'était le Timor oriental. Pour relever ce défi qui était  sa première expérience d'administration directe, l'ONU a voulu faire appel à un préfet français parlant anglais pour bâtir les structures du futur Etat. Ce territoire, colonie portugaise pendant cinq siècles, sortait exsangue de 25 ans d'occupation indonésienne et n'avait jamais été indépendant. Quand j'ai pris mes fonctions, tout le Timor avait été incendié par les milices indonésiennes. C'est sur des ruines fumantes, dans un total dénuement qu'il fallait non seulement parer au plus pressé c'est à dire éviter les famines et la propagation des épidémies, mais commencer à construire.Tout était à construire. Des écoles, des instituteurs et un système éducatif pour des centaines de milliers de jeunes. Des dispensaires et un système de santé pour un territoire de 800 000 habitants qui ne comptait qu'une dizaine de médecins, un code civil, un code pénal et une organisation judiciaire dans un territoire qui ne comptait pas de juristes. Une police pour éviter pillages et exactions. C'était l'année zéro.

J'ai été choisi comme représentant spécial adjoint du secrétaire général de l'ONU pour lancer et coordonner toutes ces actions, sous l'autorité du représentant spécial Sergio Vieira de Mello qui était un Brésilien  qui avait fait toute sa carrière à l'ONU. Les missions de maintien de la paix de l'ONU sont rarement qualifiées de réussites, mais celle-ci, qui était la première en son genre puisqu'il s'agissait d'une mission d'administration directe, a été considérée comme un succès.

Dans cette île au bout du monde,  au climat équatorial  et infestée par la malaria, les 19  mois que j'y ai passés ont été difficiles sur le plan de la vie quotidienne (j'étais très loin du confort des préfectures) mais stimulants sur le plan des réalisations. Je suis parti au moment où la réussite de la mission permettait de commencer le transfert de ses pouvoirs aux autorités locales élues.

La France m'a alors proposé et  l'ONU m'a demandé de devenir chef du pilier de l'état de droit, c'est à dire être le patron de la police et de la justice dans la mission de la paix du Kosovo. J'y suis resté trois ans et demi. C'est donc là aussi une police et un système judiciaire que j'ai créés, avec notamment un code de procédure pénale et un code pénal. La police ainsi formée a été efficace puisque le niveau de criminalité a été sensiblement réduit.  Cela étant, il faut rester modeste car les succès dans les Balkans sont souvent de courte durée, tant les haines interethniques sont fortes et les réseaux criminels fortement implantés.

Au cours de cette longue carrière, quel homme vous a inspiré ?

Plusieurs sans doute. Je citerais pêle-mêle mon préfet de stage, Gabriel Delaunay dont la hauteur de vues pendant mai 1968 était impressionnante, le premier ministre iranien Fereydoun Hoveyda que j'ai connu à Téhéran et dont la vivacité et l'esprit ondoyant et divers, la francophonie, le sens de l'humour faisaient de lui un être à part, et qui fut malheureusement fusillé quelques mois après le début de la révolution iranienne, Jean Lecanuet que j'ai bien connu comme président du conseil général de la Seine Maritime, homme de culture et de réalisations et qui n'a pas eu le destin national auquel sans doute il pouvait prétendre, ayant été emporté par la maladie. Je mentionnerais bien sûr Sergio Vieira de Mello, mon patron au Timor oriental, qui maniant à la perfection cinq langues, passait avec une facilité déconcertante de l'une à l'autre. Il était un négociateur hors pair. Il savait créer des consensus et, s'il n'avait pas été tué en 2003 dans un attentat contre la mission de l'ONU à Bagdad, aurait eu de sérieuses chances de devenir secrétaire général de l'ONU.

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